Des lieux oeuvrent partout en France depuis une vingtaine d’années pour construire nos identités et nos humanités numériques. Ce sont, entre autres, des médialabs. Ces lieux rendent accessibles les outils numériques et permettent d’apprendre à « devenir un média », pour ouvrir une nouvelle parole médiatique.
Ce qui se transforme
Les médias sont devenus de « nouveaux médias » décentralisés et ouverts. Cette décentralisation médiatique nous fait passer des médias nationaux, locaux, privés et d’État à un paysage médiatique diversifié : presse en ligne, mais aussi réseaux sociaux, plates-formes de diffusion grand public comme YouTube, ou encore médias de niche (Medium, Usbek et Rica ou WattPad). Ils sont portés par des communautés qui travaillent à changer la manière de produire et diffuser de l’information, qui se donnent un pouvoir d’agir et d’informer. Une place de plus en plus importante est accordée aux lecteurs qui deviennent contributeurs de la production de contenus.
Par ailleurs, l’information a tendance à se transformer en data venant alimenter des algorithmes plutôt que des tribunes. Ces multiples médias jouent un rôle déterminant pour déchiffrer un monde qui devient de plus en plus complexe.
Les professionnels cherchent logiquement de nouvelles manières d’exercer leurs métiers et les lecteurs cherchent à prendre place dans ce paysage médiatique en mouvement. Aujourd’hui, un média s’invente, se teste, innove pour transformer radicalement la « société du spectacle » des années 60, 70 et 80, celle qui fut conceptualisée par Guy Debord et mise en œuvre par Andy Wharol et par l’irruption de la télévision. Le média de demain place la production de l’information dans toutes les mains, à tout moment. Le smartphone, par exemple, déporte notre regard et nous ouvre une fenêtre permanente sur le monde. Les images et les informations changent de pratiques et de formes. On lit des vidéos sur Brut, la radio est un podcast avec Binge, les textes sont des images (avec SnapChat. par exemple)
Mais où et comment apprendre à « être un média » ? Les médialabs sont justement des lieux d’échanges, de formation et de production de « ces médias d’aujourd’hui ».
Les médialabs, qu’est-ce que c’est ?
Quand on parle de médialab, on se réfère à celui du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il n’y a, en vérité, pas de définition stricte de ce type de lieu, si ce n’est une ligne directrice commune : se saisir de l’augmentation très forte des capacités de créativité quand on utilise en même temps l’informatique, les données numériques et les réseaux de communication.
Un médialab est un lieu de recherche qui expérimente autour des données numériques, datas (big datas, algorithmes). Il contribue à la formation des usagers, aux pratiques de production et de diffusion de l’information. Il œuvre aussi au développement des médias, de leurs supports en ligne, sur les réseaux sociaux, voire dans un quartier : c’est un outil civique. On y croise aussi bien des chercheurs que des artistes, de designers, des musiciens, des étudiants, des journalistes, ou des activistes.
Il existe autant de définitions du médialab que de lieux qui émergent un peu partout dans le monde, du Médialab Prado à Madrid qui accompagne le mouvement des fabriques citoyennes de la ville au ZKM à Karlshrue, musée et mediacenter européen qui archive et expérimente les formes des arts et des cultures numériques ou encore au Medialab de Sciences Po initié par Bruno Latour qui « aide les sciences sociales et humaines à tirer le meilleur profit de la masse de données rendues disponibles par la numérisation ».
Fabriquer un médialab
Le 30 août 2018 a été présenté à la Mairie d’Helsinki – pays qui a vu naître Nokia, Linux, des projets médiathèques et de tiers lieux culturels, ainsi que des politiques de créativités incitatrices pour les jeunes – les propositions structurantes du réseau européen de médialabs du projet EuropeanMédiaLab Praxis.
À l’initiative de ce projet, Urban Prod, structure de médiation qui forme, produit et accompagne autour des humanités numériques, s’est interrogée sur la manière de développer un médialab auprès et avec ses publics. Quatre structures européennes culturelles et sociales ont été sollicitées : ARCI à Rome/Italie, CUBIC à Innsbruck/Autriche, Bildungsmarkt à Berlin/Allemagne et Lasipalatsin Mediakeskus Helsinki/Finlande.
Deux années de recherches-actions ont permis de faire émerger des principes structurants pour implanter et adapter ce type de dispositif et répondre aux enjeux d’inclusion numérique. La création d’un médialab est à chaque fois différente et rend compte de l’adaptation systématique des technologies et des méthodologies aux contextes spécifiques : emploi, action sociale, expérimentation culturelle, animation jeunesse… Un médialab se construit ainsi à l’écoute des usages, des pratiques, des ressources, des métiers, des compétences de la structure et du champ des possibles des outils numériques actuels.
Cinq principes pour un médialab
L’élément commun aux médialabs est la diversité des réponses que chacun apporte selon son propre contexte. Fabriquer un médialab repose alors sur des principes, et non une méthode ou seulement des outils. Cette approche s’inspire de la logique des logiciels libres et des cultures numériques, qui proposent des principes directeurs tenant compte de la diversité des usages, dans un esprit commun et selon une grande pluralité de moyens. C’est le cas des méthodes AGILES ou de la licence GPL.
Les cinq principes communs qui permettent de développer un médialab et ces actions d’innovations culturelles, sociales et numériques sont les suivants :
Open : un lieu visible et accessible, connecté à son territoire.
Safe : un environnement convivial, à taille humaine, sans enjeux/libre d’accès, avec de l’accompagnement.
Share : favoriser les connexions de pairs-à-pairs à partir d’une facilitation humaine et l’appropriation du lieu par des communautés d’usagers.
Evaluation : autoriser les usagers à modifier et faire évoluer le projet.
Movement : faire évoluer les compétences et le fonctionnement de l’organisation.
Ces cinq principes sont un « code source » qui favorise l’essaimage et l’implantation de médialab, quel que soit le contexte pour favoriser l’éducation, l’émancipation et la démocratisation des citoyens dans un monde qui met les médias au centre de son développement culturel, social et économique.
Au regard des expériences de médialabs menées à Helksinki, Madrid, Paris ou Marseille, se pose la question d’un modèle durable. Ils relèvent d’un investissement public qui reconnaît l’importance de la dimension d’intérêt général que ces lieux d’expérimentation, de fabrique et de formation revêtent pour les citoyens. Ils nécessitent également un investissement par les professionnels, les usagers et les bénéficiaires de ces lieux, rendant compte de leurs participation et implication dans les gouvernances collectives.
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